Nommée Rastiapino jusqu’en 1930, la ville de Dzerjinsk tient son nom de Félix Dzerjinski, révolutionnaire bolchevik. Celui-ci est connu pour avoir créé dès 1917, puis dirigé jusqu’à sa mort en 1926, la « commission panrusse extraordinaire pour combattre la contre-révolution et le sabotage » plus connue sous le nom de Tchéka puis Guépéou.
Il y ordonnera une répression généralisée de toutes démarches d’opposition, ayant recours à la torture, aux exécutions et arrestations arbitraires. En 1918 il sera l’instigateur des premiers goulags et acteur de ce que les historiens appellent « La terreur rouge ». En 1992, au moment de la chute de l’Union Soviétique, contrairement à la plupart des villes russes, Dzerjinsk ne retrouvera pas son nom d’antan. Pourquoi? Je ne sais pas vraiment, mon hôte m’explique que c’est pour des raisons budgétaires, que changer le nom d’une ville d’environ 250 000 habitants coûte cher d’un point de vue administratif. J’avoue ne pas être convaincu. A différents endroits dans la ville il y a des monuments, entretenus et plutôt beaux, érigés en l’honneur de ce criminel à grande échelle. Je reste dubitatif.
Depuis 1930, la ville située à 400 kilomètres à l’Est de Moscou est la capitale de l’industrie chimique du pays. On y produit différentes matières premières destinées à l’industrie tel que l’acide chlorhydrique, l’oxyde d’éthylène et différents polymères ou matières plastiques. Durant la seconde guerre mondiale, c’est en son sein que furent produites les armes chimiques de l’Armée Rouge et notamment de l’ypérite (gaz moutarde), de l’acide prussique (Zyclon B), du phosgène, de la lewisite et le fameux gaz sarin.
Toutes les forces de l’arrière pour aider l’avant !
Cette activité séculaire et l’enfouissement des déchets industriels sans précautions particulières fait qu’aujourd’hui Dzerjinsk et ses alentours sont considérés par Greenpeace comme l’un des dix sites les plus pollués de la planète. Le sol et l’eau y sont saturés en arsenic, PCB et dioxines. En 2013, l’espérance de vie était de 42 ans pour les hommes et 47 pour les femmes. En 2003 le taux de mortalité y dépassait de 260% le taux de natalité. Autour de Dzerjinsk, deux endroits sont particulièrement symboliques de cette pollution à grande échelle :
Le « trou noir », il fait environ cent mètres de diamètre et est, me dit-on, profond d’une trentaine de mètres. toutes sortes de déchets chimiques y on été versés pendant plusieurs décennies. On ne connait pas sa composition exacte, mais même en hiver, l’odeur qui s’en dégage est particulièrement saisissante.
La « mer blanche », un étang de cinquante quatre hectares contenant quatre millions de mètres cubes de chaux mélangés à des déchets chimiques dont là encore nous ne connaissons pas précisément la composition.
En 2011, Dmitri Medvedev et son gouvernement finissent par assumer le problème en débloquant les fonds nécessaires au nettoyage des sites concernés. Mais les chantiers sont longs à se mettre en place. En effet l’inertie administrative, les expertises et contre-expertises ainsi que le défit technique de traiter plusieurs milliers de tonnes de produits (dont certains ont une demi-vie de 300 ans) infiltrés dans les sols, ne fait que ralentir le processus. La fin du chantier de décontamination du « trou noir » était prévu pour 2020, nous n’y sommes pas du tout. Pour ce qui est de la « mer blanche », les quelques bulldozers stationnés à côté de piles de bâches plastiques paraissent bien dérisoires à côté des dizaines de milliers de tonnes quelle représente. Aujourd’hui il y a encore une cinquantaine d’usines en activité. Les infrastructures récentes ont été construites à côté des anciennes, laissées à l’abandon. J’explique mon étonnement à mon guide : Pourquoi ne pas détruire et reconstruire pas dessus ? Sa réponse me laisse pantois : Ici nous sommes en Russie et nous avons de la place, alors pourquoi s’embêter. Le paysage est donc un énorme fatras de bâtiments de différentes époques dans divers états de conservations.
Tout à Dzerjinsk rappel cette activité industrielle. Bien entendu son Blason est tout à fait symbolique mais cela va jusqu’au nom de son club de football évoluant actuellement en quatrième division, le FK Khimik Dzerjinsk : Football Club Chimiste Dzerjinsk. Ce club est sponsorisé par la société locale Tosol-Sintez, que l’on peut traduire par Synthèse-Antigel. L’activité d’industrie chimique, malgré tout, reste une grande fierté pour cette ville et la plupart de ses habitants.