Depuis le printemps 2017, Gabriel Blaise, journaliste pour le quotidien Sud Ouest, mène une étude approfondie à propos de la distillerie Douence, à Saint-Genès-De-Lombaud en Aquitaine. Dans cette démarche, il m’a invité à le rejoindre avec quelques images.
Sud Ouest, lundi 13 mars 2017
Une étude montre où se diffuse la pollution de la distillerie Douence, en procédure de régularisation.
Début décembre 2016, entre deux règes de vigne, sur les coteaux de Saint-Genès-de- Lombaud, dans l’Entre-deux-Mers. Avec son bonnet et ses chaussures imperméables, l’homme a tout du travailleur agricole… à ceci près qu’il ne manie pas le sécateur mais un spectromètre de masse, grâce auquel il mesure la quantité de CO2 dans l’air. Un gaz non dangereux pour la santé mais qui permet de « tracer » la pollution dans l’air.
Ce scientifique réalise – anonymement – une étude pour le compte de l’association Label Nature, qui dénonce les rejets de la distillerie Douence, installée depuis 1947 en bordure de la départementale reliant Langoiran à Créon, devenue au fil des décennies le principal débouché de traitement des résidus de la vigne du Bordelais mais aussi de la Charente, du Gers et de la Dordogne. L’entreprise a déposé fin 2015 une demande d’autorisation d’exploitation, sur laquelle la préfecture doit se prononcer prochainement ( La date de la prochaine réunion du Conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques ).
« Cette étude n’a qu’une valeur indicative, puisque nous n’avons pas les moyens financiers de faire appel à un organisme spécialisé, ni de la faire valider par un huissier », précise Marine Schenegg, présidente de Label Nature. Les conclusions sont sans équivoque : la diffusion du dioxyde de carbone est « très importante dans la vallée et son environnement, dans un rayon de 5 km au moins autour de la distillerie, soit douze communes concernées ».
Dans ses conclusions, le scientifique pointe la morphologie « très encaissée » de la vallée du Lubert qui empêche l’évacuation naturelle des émissions. Il préconise par ailleurs « une campagne d’analyses de l’air in situ » avec un matériel permettant de déterminer « l’ensemble des composés chimiques rejetés », ainsi que des analyses de sols. « C’est un travail intéressant, mais qu’il faudrait creuser », analyse Ragnar Weissmann. Cet expert en santé environnementale, bien qu’habitant à proximité de la distillerie, n’a pas participé à l’étude. Pour lui, « il serait bon d’avoir plus de précisions, entre autres sur le matériel, les seuils et valeurs de référence utilisés… Si l’étude ne permet pas de tirer des conclusions sur l’impact sur la santé, elle a le mérite de donner une indication sur la diffusion éventuelle des polluants, car les autres substances émises par l’usine [oxydes de soufre, d’azote, composés organiques volatils, métaux, hydrocarbures aromatiques polycycliques, ndlr] suivent le même chemin ».
Label Nature, accompagnée de plusieurs élus du secteur, est allée présenter son étude « maison » mercredi dernier à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), qui doit émettre un avis au préfet sur le dossier Douence. Ils ont trouvé une administration à l’écoute. Interrogée, la préfecture de la Gironde ne souhaitait pas communiquer pour le moment au sujet de la distillerie, « le dossier étant en cours d’instruction ». Bernard Douence, le dirigeant de l’entreprise, préfère ne pas s’exprimer sur le fond avant fin avril et les résultats des études, officielles celles-là, qu’il finance « pour un coût de 80 000 euros »
Viticulture : Douence compte ses soutiens
L’industriel a lancé une pétition pour dénoncer « les contraintes environnementales ».
Bernard Douence a lancé en janvier une pétition intitulée « Je soutiens la distillerie Douence » pour dénoncer « les contraintes environnementales » contenues dans le projet de nouvel arrêté préfectoral, qui risqueraient de l’amener « à envisager la fermeture du site de Saint-Genès-de-Lombaud [35 emplois, NDLR] et par voie de conséquence celle des autres sites du groupe [150 emplois en tout] ». Il aurait déjà reçu « des milliers de réponses positives ». Comme celle de Peter Jorgensen, du château de Haux, non loin de la distillerie : « Si c’est vrai, ce qu’il présente – qu’il serait obligé de fermer –, je ne peux qu’être d’accord avec sa demande. C’est une explication qui me paraît plausible. »
« Toujours le même argument du chantage à l’emploi », déplore Anne-Laure Fabre-Nadler, vice-présidente (EELV) du Département. « On a compris que les études officielles mèneraient vers une autorisation, qu’on ne serait pas au-delà des normes, poursuit la jeune élue. Le problème, c’est que les normes ne prennent pas en compte ‘‘ l’effet cocktail ’’ de tout le cortège de polluants, sur une longue durée, sur la santé des habitants. Je comprends que ça puisse peiner l’industriel, mais il lui faut délocaliser. La vallée ne peut plus absorber toute cette pollution. » Rappelons qu’en juin 2016, l’enquête publique a débouché sur un avis défavorable du commissaire enquêteur, avec un rapport taclant indifféremment le « laxisme » des pouvoirs publics et l’industriel, rappelant qu’il a déjà été condamné « à plusieurs reprises pour défaut de contrôle et de mises aux normes antipollution ». Selon le rapport, l’insuffisance des contrôles et les nombreuses données non-conformes ou non-actualisées ne permettaient pas « d’apprécier la réalité et le niveau d’impact sur la qualité de l’air ainsi que l’absence de risque pour la santé humaine et l’environnement ».
Sud Ouest, jeudi 06 juillet 2017
Le Conseil départemental de l’environnement doit se prononcer aujourd’hui sur l’autorisation d’exploitation de l’usine. Le PDG affirme qu’il n’y a aucun risque.
C’est aujourd’hui que le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (composé d’une majorité d’agents d’organismes publics et d’élus, et de quelques représentants d’associations) se réunit pour étudier la demande d’autorisation d’exploitation formulée par la distillerie Douence suite à l’annulation par la justice du précédent arrêté en 2010. L’industriel, qui emploie sur place une trentaine de personnes, souhaite pouvoir augmenter sa production de 45 000 à 80 000 hectolitres d’alcool pur par an. Le préfet devra rédiger un arrêté suivant – ou pas – l’avis du conseil. Bernard Douence, PDG de l’entreprise, a répondu à nos questions.
Jusqu’à présent, vous ne souhaitiez pas communiquer. Maintenant que vous avez les études en main ( les études sont commandées à des organismes indépendants, à la demande de l’État, par l’industriel qui en est donc propriétaire. Malgré nos sollicitations, nous n’avons pu avoir accès à ces documents), que pouvez vous en dire ?
Je veux d’abord remercier les milliers de personnes qui me soutiennent. Plus de 5 500 ont signé ma pétition ( dans sa pétition, l’industriel dénonce « les contraintes environnementales » contenues dans le projet d’arrêté préfectoral, qui risqueraient de l’amener à envisager la fermeture du site, « et par voie de conséquence celle des autres sites » du groupe qui en compte huit ). C’est important d’avoir ce soutien de la population.
Quels sont les résultats des études menées sur le site ?
Tout d’abord, l’étanchéité des lagunes a été vérifiée. Toutes sont étanches à 100 %. L’ensemble de l’usine est situé sur une couche d’argile noire d’1,5 mètre. C’est totalement imperméable. Les rejets d’eau sont entièrement conformes à l’arrêté préfectoral d’aujourd’hui.
Ce sont surtout les rejets atmosphériques qui inquiètent…
Les rejets atmosphériques (poussières, composés organiques volatils…) sont entièrement conformes à la réglementation. Pour le problème des risques sanitaires, le plus d’actualité, nous avons été contrôlés par le laboratoire Ineris, leader en France dans le secteur. Il est venu pendant deux mois pour étudier la météo, puis a pris des mesures jour et nuit, pendant trois ou quatre jours. Les produits phytosanitaires ont été détectés dans le marc de raisin. Sur 336 produits recherchés, on en a retrouvé une trentaine, mais dans des doses négligeables. L’étude conclut à des émissions « très faibles ». Je souhaite que le voisinage soit conscient du fait qu’il n’y a pas de risque sanitaire. J’avais dit clairement que s’il y en avait, j’arrêterais l’usine. Je ne suis pas là pour tuer des gens. Une étude olfactométrique (des odeurs) a été menée. La Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) est venue avec le cabinet, qui a procédé selon une méthode officielle, et nous sommes en dessous des normes. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de nuisances, mais nous sommes conformes à la réglementation.
On voit parfois des fumées colorées, vertes, jaunes, des gens se plaignent de maux de tête…
Il peut y avoir des problèmes, comme dans toute entreprise. Je ne sais pas d’où ça vient. Si ça se dérègle, si un opérateur fait une fausse manoeuvre… La chaudière peut se dérégler, ça peut arriver. Mais de toute façon, on ne brûle que de la sciure de bois. Concernant les odeurs, le cabinet a identifié d’autres sources, hors de la distillerie. Il y a des stations d’épuration autour. Il y a peut-être un amalgame.
Et concernant le bruit ?
Tout est conforme. L’étude a été refaite, car dans un premier temps, les points n’avaient pas été bien choisis.
Lors de la première journée de l’étude, usine arrêtée [pour mesurer le bruit résiduel, NDLR], on entendait d’importants bruits de camions. À quoi correspondaient-ils ?
Tout ce qui provient de véhicules constitue de toute façon le « bruit de fond » qui est ensuite enlevé lors de l’analyse. Nous avions quatre points de prise. Tous sont conformes aux normes. Il n’y a pas de problème de bruit.
Qu’attendez-vous du nouvel arrêté ?
Aujourd’hui, on est dans les clous par rapport à l’arrêté temporaire de 2011. La réglementation a évolué depuis, il y aura peut-être des points sur lesquels il faudra se mettre en conformité, mais je ne suis pas inquiet. Ce que je vous dis, c’est la réalité. Il faut rassurer les gens, dans la mesure où il n’y a rien.
Ils demandent notamment à l’administration une analyse permanente de l’air.
Dans un communiqué, le collectif des riverains de la distillerie dénonce le manque de considération des autorités devant ses craintes « face aux fumées parfois suffocantes et aux odeurs âcres émises par la distillerie. ‘‘Nuisance olfactive ne veut pas forcément dire risque sanitaire’’ : voici le type de réponse que nous recevons lorsque nous nous adressons à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Nous avons pourtant de quoi nous interroger », écrit le collectif. Les riverains rappellent ensuite l’historique de la distillerie, « simple alambic posé dans un champ dans les années 1950, autorisé avec réserve en 1975, devenu l’une des plus importantes distilleries industrielles de France, en dépit d’une situation en fond de vallée inadaptée à l’évacuation des fumées ».
Ils évoquent le passif judiciaire et administratif de l’entreprise – « 22 mises en demeure entre 1977 et 1998 sans que la préfecture n’envisage la moindre sanction, condamnation en 2002 pour pollution des eaux ». Ils citent également l’enquêteur public qui, l’an dernier, pointait des lacunes dans la demande de l’industriel telles qu’elles « auraient pu justifier par leur nature, leur nombre et leurs conséquences induites, peu admissibles du fait de l’ancienneté du dossier, un refus du dossier en l’état ». Ils demandent notamment à l’administration « une analyse permanente de l’air que nous respirons en implantant une station Airaq / Atmo, seule capable d’assurer un contrôle efficace 24 h / 24 des rejets atmosphérique de cette entreprise ».
Sud Ouest, lundi 17 juillet 2017
L’arrêté autorisant une augmentation de production doit être signé. Concernant les rejets atmosphériques, il se base sur des études menées sur quatre jours.
Le préfet Pierre Dartout est venu en personne le 6 juillet présider le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst, ex-conseil départemental d’hygiène), qui se penchait entre autres sur la demande d’autorisation d’exploitation de l’usineDouence, à Saint-Genès-de-Lombaud. Cette distillerie industrielle, l’une des plus importantes de France, et dont l’arrêté d’exploitation avait été annulé par la justice en 2010, réclamait de pouvoir augmenter sa production de 45 000 à 80 000 hectolitres d’alcool pur par an. Un arrêté est attendu ce début de semaine.
Le PDG de l’entreprise, Bernard Douence, a répondu aux questions de l’assistance – une majorité d’élus et de représentants de différentes administrations, et quelques participants extérieurs (un hydrogéologue, un représentant de la Fédération des pêcheurs et un de la Sepanso pour les associations environnementales) avant de quitter la salle pour le vote. Une fois rendu l’avis (Le Coderst préconise une augmentation à 55 000 h/an, assorti d’une hausse de la cheminée principale, de la mise en place d’un comité de suivi et d’un suivi de la qualité de l’air.) – favorable à l’unanimité moins deux abstentions –, le préfet assurait qu’il « ferait en sorte que les prescriptions soient fermement tenues » puis s’éclipsait à son tour. Le dossier avait auparavant été présenté par les agents de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), sur la base d’une évaluation des risques sanitaires menée par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques sanitaires. La loi stipule que les études sont réclamées par les autorités à l’industriel , qui les commande et les finance.), que nous avons pu nous procurer. Concernant les rejets atmosphériques, cette étude compile les résultats d’une visite inopinée d’un jour en novembre, de deux jours de mesure en février et d’un jour en avril. L’Ineris explique que « d’après l’exploitant, les installations fonctionnent en continu sur l’année dans des conditions régulières. Les flux calculés […] sont donc supposés représentatifs des émissions moyennes dans la configuration actuelle des installations ». Des dizaines de témoignages attestent pourtant de dégagements de fumées bien différents du simple panache blanc du séchoir à marcs, la principale cheminée. Des rejets souvent observés de nuit et au petit matin, de multiples couleurs, tantôt âcres, tantôt acides. Comme le 14 février, une semaine après l’étude, le 28 avril ou encore dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 juin (lundi de Pentecôte).
Une étude de bruit a été réalisée les 10 et 11 avril pour calculer l’émergence – la différence entre le bruit usine en marche et usine à arrêtée. Lors de la première phase, à l’arrêt (de 5 heures à 10 heures du matin), d’importants bruits de camions étaient observés dans l’enceinte de l’usine. Le rapport du laboratoire Apave en date du 22 mai précise que plusieurs sources sonores émanant de l’usine n’ont pu être stoppées : les aérateurs des lagunes et le nettoyage de la distillerie, de 5 heures à 10 heures du matin. Dans ses résultats, pour les trois points de mesure les plus proches de l’usine, l’émergence enregistrée est de zéro décibels : le bruit usine arrêtée serait donc supérieur à celui usine en marche. Conclusion de l’étude : « Pour les conditions rencontrées lors de la campagne de mesure, il apparaît que les niveaux sonores […] respectent les exigences réglementaires. » Dans ses conclusions, l’Ineris stipule que « le calcul des indicateurs de risque pour une exposition sur le long terme montre l’absence de risques préoccupants pour les populations voisines ». Il précise aussi qu’il « pourrait être pertinent de contrôler les émissions canalisées atmosphériques pour s’assurer que [ces conclusions] restent pertinentes au cours du temps.
« On nous endort, avec une étude plutôt prudente, estime Anne-Laure Fabre-Nadler, vice-présidente écologiste du Département. La décision va à l’encontre des arrêtés de 1975 et 1985, qui disaient qu’il ne fallait pas augmenter la production. Elle va à l’inverse du principe de précaution. L’industriel a eu gain de cause, en rendant un dossier avec cinq ans de retard. On se demande si le fait d’avoir le soutien de la filière viticole ne constitue pas un ‘‘droit à polluer’’… » Ni l’industriel, ni les autorités ne souhaitaient communiquer sur le sujet avant la signature de l’arrêté.
Michel Douence, copropriétaire de l’usine (avec ses deux frères, dont le PDG, Bernard), est aussi maire de Saint-Genès-de-Lombaud et était, jusqu’en décembre dernier, vice-président de la communauté de communes du Créonnais en charge du développement durable. Il se félicite que le dossier ait été approuvé par le Coderst « à une très large majorité », tout en tempérant la nouvelle : « Le préfet va pouvoir signer son arrêté, mais pour nous, ce n’est pas un succès ! On demandait 60 % d’augmentation [passer de 45000 hl/alcool pur par an à 80000 hl], on n’en a obtenu que 10 %. On a fait faire pour 84000 euros d’analyses (lagunes, ruisseau, air, odeurs…). Je sais que XX [il cite le nom d’un opposant] continue de faire du porte à porte pour raconter des choses sur nous. Mais ce n’est pas les 10 ou 15 opposants qui vont y changer quelque chose. On a le soutien de 6500 personnes dans la viticulture – ou putôt 6500 familles ! »